Conférence de Presse du 10/12/2009

            Il est 6h ce 11 novembre 2008. L’opération « Taïga » entre dans sa phase active.

150 hommes cagoulés appuyés par deux hélicoptères investissent le bourg de Tarnac (Corrèze) et en bouclent tous les accès.

Ces inquiétants personnages sont des policiers [dont des officiers de la police judiciaire de Limoges, des membres de la DGSI (direction générale de la sécurité intérieure, fusion des RG, de la DST et de l’antiterrorisme de la PJ) , de la SDAT (sous-direction anti-terroriste), de la police scientifique ; chiens policiers et maîtres-chiens complètent le tableau].

Avec une grande brutalité, cinq perquisitions se déroulent à travers le village. Les occupants sont violemment maîtrisés, menottés, avec interdiction de communiquer entre eux. Dix sont interpellés.

La présence aux côtés de la police , de la presse (pas seulement parisienne), de la télévision, laisse penser que l’opération policière s’accompagne d’une opération médiatique préméditée et minutieusement préparée. Cette pratique a déjà été employée par le gouvernement, notamment lors d’opérations de ratissage dans les banlieues.

2h après le début de l’opération, une première dépêche de l’AFP annonce l’arrestation de jeunes « terroristes », « saboteurs » probables de lignes TGV de la SNCF, appartenant à la « mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche ».

Moins de deux heures plus tard c’est la ministre Michèle Alliot-Marie qui précise que l’on tient les coupables des sabotages des lignes de TGV. Les preuves sont là, dit-elle, évoquant empreintes, ADN, matériels divers…

Les investigations dureront sept heures sur place, tandis que dans le même temps une dizaine de personnes supplémentaires sont interpellées – dont quatre gardées à vue – à Rouen, Paris, Nancy et Limoges.

 

            La presse de tout bord, qui ignore la présomption d’innocence dans cette affaire, à l’instar de la ministre, a déjà condamné les jeunes gens et fait de bons mots (on se souvient de la une de Libération : « l’ultra-gauche déraille ».

Une véritable « torture blanche » est appliquée au cours de quatre jours de garde à vue, ce que permettent les lois antiterroristes. Le but est de déstabiliser et d’épuiser les personnes par la perte des repères spatio-temporels. En argot judiciaire on appelle cela « attendrir la viande ».

L’inculpation principale tombe pour neuf des jeunes gens : « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

Trois sont inculpés de destruction en réunion et l’un d’entre eux, Julien Coupat, de « direction d’une entreprise à visée terroriste ».Cinq mandats de dépôts sont prononcés.

Le tarif pour ces chefs d’inculpation est lourd, au-delà d’une amende colossale, ce sont vingt ans de prison qui peuvent se profiler…

 

            Cependant, bien vite, les dossiers vont se révéler étonnement vides de preuves, trois des cinq emprisonnés sont libérés sous contrôle judiciaire le 2 décembre. Deux personnes sont maintenues en détention , Yldune Lévy , pour laquelle les « lourdeurs administratives » ont empêché le dépôt d’une demande de mise en liberté et le « chef » supposé Julien Coupat .

Sa libération, prononcée par le juge des libertés et de la détention le 19 décembre 2008, sera attaquée et annulée par le parquet.

Décision confirmée par la chambre d'instruction de la cour d'appel de Paris le 26 décembre.

 

            On notera que Julien Coupat a été stigmatisé par les services de police, la ministre de l’intérieur et la presse, comme chef d’une « cellule invisible ». Il est également soupçonné d’être le principal rédacteur d’un ouvrage publié par « La fabrique » en mars 2007 et peu ou pas médiatisé au moment de sa sortie : « L’insurrection qui vient », signé « comité invisible ».

Ces éléments visent à faire croire à l’existence d’un complot.

           

            Notons qu’il n’a pas manqué dans la presse, y compris celle qui se déclare indépendante, voire subversive, de donneurs de leçon à la petite semaine qui ont piétiné les « inculpés du 11 novembre ».

Ne s’en sont pas privés non plus certains politiciens et « responsables » syndicaux.

 

            Pourquoi, malgré l’indigence des dossiers à charge, ce « coup de Tarnac » se prolonge-t-il avec le maintien des chefs d’inculpation, le contrôle judiciaire de certainEs et le maintien en détention de deux personnes ? Pour rappel, la détention préventive, dans le cadre d’une affaire dite de terrorisme peut durer pratiquement cinq années !

             Rappelons que le 13 juin 2008 est tombée une circulaire de la « direction des affaires criminelles et des grâces » 08-1080-T26.

Elle vise la prétendue « mouvance anarcho-autonome d’ultra-gauche ». Elle permet de requalifier de simples délits de droit commun en crimes terroristes.

Ce sont alors des juridictions d’exception qui traitent les « affaires » alors que les parquets ordinaires se dessaisissent des faits.

            Que ce soit dans le cas de Tarnac, ou autres, en l’absence de preuves, le simple soupçon, la fréquentation de personnes « repérées», la possession de livres et d’écrits dits « subversifs », la participation à des manifestations ou mouvements sociaux de lutte font des interpellés des « terroristes » en puissance qui devront subir les foudres des lois d’exception et le tarif afférent du code pénal.

Il s’agit en 2001, après les attentats contre le « world trade center » du 11 septembre, des lois LSQ - Vaillant, Lebranchu,  Jospin, complétées et aggravées en 2003 par les lois LSI - Perben, Sarkozy.

Le délit d’intention ou simplement d’opinion n’est plus désormais l’apanage des états totalitaires que la « démocratie » de gouvernement se plaît à dénoncer régulièrement.

            Le criminologue sarkozyste Alain Bauer, grand lecteur de « l’insurrection qui vient » et pourfendeur de l’ultra-gauche, porte une responsabilité déterminante dans la fabrication d’un complot terroriste.

Ayant convaincu la ministre d’une menace réelle, les services de la police politique vont trouver les éléments à charge : manifs anti-CPE, lutte contre le sommet du G8, résistance et solidarité à l’égard des sans-papiers, manifs devant les centres de rétention administrative, véritables centres d’internement pour sans-papiers, manif de Vichy le 3 novembre dernier contre le honteux et provocateur sommet européen pour « la régulation des flux migratoires » (sic)…

A cet égard, les déclarations dans les journaux de Christophe Chaboud, chef de coordination de la lutte antiterroriste et de Gilles Gray, sous-directeur de la protection économique de la DCRI sont éloquentes.

            Désormais, la grand-messe sécuritaire est dite. Le gouvernement, et plus généralement le personnel politique, craignent la révolte populaire et il ne manque pas de raisons pour que celle-ci éclate. Il convient donc pour eux de criminaliser toute opposition qui ne se soumet pas à la triste règle du jeu du système capitaliste.

            A cet égard, les « inculpés du 11 novembre » n’ont-ils pas été dénoncés par le pouvoir étatique et les médias comme marginaux, vivant dans une communauté retirée du monde (au pied du plateau de Millevaches !), ne possédant pas de téléphone portable, cultivant leur jardin et assurant la gestion d’une épicerie coopérative dans un village de 360 habitants …

La malhonnêteté et la condescendance amusée avec lesquelles ces remarques critiques furent le plus souvent énoncées ont donné la nausée à nombre d’entre nous !

            Aujourd’hui, bien sûr, la bulle s’est dégonflée et l’on a vu revenir les médias à des appréciations plus positives et presque élogieuses. Certains reportages ont même rendu compte plutôt honnêtement de la situation réelle… Bien tard !

On a vu également des revirements de position dans les milieux politiciens…

            A chacune et chacun de juger ce que cela leur inspire…

 

            Nous ne saurions terminer sans évoquer le cas d’autres jeunes détenus et/ou poursuivis dans le cadre des lois d’exception et qui évidemment risquent gros elles et eux-aussi.

Il s’agit d’Ivan et Bruno, arrêtés en janvier 2008, ainsi que, quelques jours plus, tard Isa et Farid, les uns pour avoir transporté des fumigènes et des crève-pneus, les autres  parce qu'ils détenaient du chlorate de soude et de mauvaises lectures.

Ivan, Bruno et Farid seront emprisonnés pendant quatre mois puis placés sous contrôle judiciaire strict. Pour Isa, l'affaire se gâte : on a retrouvé ses traces d'ADN dans un sac contenant des bouteilles d'essence et des allume-feux sous une dépanneuse de la police. C'est aussi le cas pour Juan et Damien.

Cependant, pour aucun des inculpés, la justice n'a pu réunir de preuve d'une quelconque action concrète. Juridiquement, l'ADN est un indice, non une preuve : les erreurs, dues à des manipulations mal faites, voire à des "faux positifs" (ADN presque identiques), sont nombreuses.

Parmi les inculpés, les uns luttaient contre les centres de rétentions, les autres contre les établissements pénitentiaires pour mineurs.

            Tous sont accusés d'appartenir à la prétendue "mouvance anarcho-autonome"…

            Ce qui nous fait réagir aujourd’hui, ainsi que les nombreux comités de soutien à travers la France et le monde, c’est bien entendu la solidarité que l’on doit aux humains qui luttent contre le système et ses garants. C’est aussi la crainte de plus en plus justifiée d’une répression sans faille contre tout mouvement de protestation, ou, à fortiori, de révolte, contre les institutions étatiques et financières.

Révolte  contre une « organisation » de la société qui promeut l’exploitation des pauvres, l’inégalité profonde et la valorisation du profit au nom d’une prétendue vérité universelle indépassable, confortée par la « morale » des vainqueurs.

            La libération de toutes les personnes inculpées dans le cadre des lois d’exception est une exigence minimale, tandis que le pouvoir construit  inlassablement de nouvelles prisons, peaufinant un contrôle social redoutablement efficace, grâce aux nano-technologies, que le système offre des milliards aux banques et aux entreprises tout en jetant de nouveaux chômeurs, que des humains continuent à mourir de froid dans la rue…

            Parallèlement la famine se maintient sur la planète et va certainement progresser avec la crise mondiale. Quant aux ventes d’armes, elles restent florissantes et les guerres s’en nourrissent…

ALORS, en effet on est en droit de poser la question :

 QUI TERRORISE QUI ?

 

avant d’adresser un grand coup de chapeau aux habitantEs de Tarnac qui ont immédiatement manifesté leur soutien, sans autre question concernant culpabilité ou non-culpabilité, et qui, comme l’écrivent les parents des inculpés dans une lettre ouverte, « préfèrent croire ce qu'ils vivent que ce qu'ils voient à la télé ».

 

Comité de soutien Périgord aux inculpés du 11 novembre

 

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